Les épreuves communes peuvent aussi révéler le meilleur, comme l’ont prouvé de nombreuses inventions collectives. Les applaudissements de 20h pour soutenir les soignants, la confection artisanale de masques, l’adaptation de l’activité de certaines entreprises… Elles mettent en lumière la plasticité ainsi que la résilience dont peut faire preuve l’être humain. Comment répondre aux défis suscités par la crise ? Comment l’humain déploie ses capacités d’adaptation pour y répondre ? Peut-on en sortir grandi, tant individuellement que collectivement ?
Pour en parler nous recevons Caroline Eliacheff, pédopsychiatre et psychanalyste.
Elle explique notamment la difficulté de mener une séance à distance :
La moitié de nos patients profitent de ce que nous proposons, et les autres reprendront ou ne reprendront pas. Ça a aussi des effets sur nous : nous ne sommes pas dans notre cadre habituel, nous sommes chez nous, au téléphone, ce qui est inhabituel, ou encore plus inhabituel par Skype. Curieusement ça nous demande un effort de concentration extrême, beaucoup plus que quand nous sommes dans nos cabinets. Quand nos patients entrent dans le cabinet certains disent « Comment allez-vous ? », nous on ne répond pas et au bout de trois fois ils ont compris que c’est plutôt nous qui pensons « comment allez-vous ? ». Alors que là nous répondons, on est plus familiers que nous ne le sommes d’habitude, parce que nous sommes dans le même bain. Il y a une modification de la relation en ce sens. Nous nous rendons compte que ce rituel de l’avant fait partie de la cure.
Le confinement a-t-il un effet particulier sur les enfants ?
Chez des enfants, on voit des choses auxquelles on ne s’attendait pas. On se disait : « ça va être terrible, les enfants ne vont pas supporter, etc ». Il arrive au contraire que des enfants soient très différents de ce qu’ils étaient avant, comprennent parfaitement la situation. Avec les adolescents également, situation très contrastée. Les adolescents qui se retrouvent enfermés avec leurs parents c’est pas du tout la situation qu’ils souhaitent, c’est plutôt le moment où ils ont envie de se dégager de leur famille, de voir leurs copains, de sortir, etc. Là aussi on voit des situations très différentes avec des adolescents qui tout à coup prennent conscience, se heurtent à une réalité qu’ils n’avaient jamais envisagé. Et eux même ré-envisagent ce qu’ils pourraient faire, comment ils menaient leur vie, etc. Ça a des effets parfois extrêmement profonds et importants.
Comment les gens réagissent-ils dans une période de confinement anxiogène ?
La période est anxiogène. Curieusement au début ça allait plutôt bien, maintenant certains sont effectivement plus angoissés. Et en même temps une certaine routine s’installe pour chacun d’entre nous et la routine est plutôt rassurante. C’est plutôt l’après qui est angoissant et pose des questions. La psychanalyse ne s’occupe en principe pas tellement de la réalité du moment et là nous y sommes tous confrontés. Il y a des gens qui vont moins bien, mais pas forcément toute la journée, mais ils se ressaisissent. Les gens ont des ressources, parfois des ressources qu’ils ne connaissaient pas. D’autres en ont moins et se trouvent effectivement dans des situations compliquées.
A voix nue, une émission qui recueille les paroles, les réflexions de celles et ceux qui marquent notre temps. Ilana Navaro
Alice Cherki est psychiatre, psychanalyste et écrivaine. Née dans une famille juive algérienne, elle s’est engagée en faveur de l’indépendance de l’Algérie dans les années 1950, années pendant lesquelles elle a rencontré et travaillé avec le psychiatre et penseur Frantz Fanon.
Dans cet épisode, Alice Cherki raconte sa rencontre avec Frantz Fanon en 1953 à l’Hôpital Psychiatrique de Blida, ville près d’Alger.
Interne, elle témoigne de « l’expérience de social-thérapie » mise en place par Fanon pour les patients psychiatriques des deux camps. Une sorte d’oasis où l’on peut concevoir une guérison, alors qu’autour d’eux, la guerre bat son plein.
La dernière fois que j’ai rencontré Françoise Dolto, c’était à la fin de sa vie, lors d’un dîner chez les Rosolato. Catherine était présente elle aussi. J’étais assis à côté de Françoise, elle respirait à l’aide d’une bouteille à oxygène. Mais un sentiment profond de sérénité et de sécurité émanait d’elle.
Cinquante ans plus tôt, lors d’une soirée chez Marie Bonaparte, à Saint-Cloud, F. Dolto fait la rencontre de Melanie Klein qui est venue présenter un cas d’enfant. Voici ce qu’elle écrit après cette soirée : « Je me suis dit : ce n’est pas de la psychanalyse ce qu’elle fait, c’est de la psychothérapie de soutien du narcissisme. Elle soutient le narcissisme. Il n’y a qu’à être près d’elle pour sentir qu’elle a une théorie dans la tête. »
Cette réaction montre à mon avis que déjà, en 1936, alors qu’elle termine son analyse avec René Laforgue et commence à travailler avec des enfants malades, Françoise Dolto ne fait pas de différence entre le transfert de l’enfant, le transfert de l’adolescent et le transfert de l’adulte. Pour elle, le bébé a toujours été d’emblée une personne : conviction peu partagée à cette époque ! Elle a eu l’intuition que pour être à l’écoute du transfert, c’est-à-dire dans la relation, il faut mettre de côté toute théorie préalable.
Françoise Dolto intitule ce texte publié en avril-mai 1948 dans la revue Psyché « Les sensations cœnesthésiques d’aise ou de malaise, origine des sentiments de culpabilité »[2]. Dans son beau livre récent, Dolto, Une journée particulière, Caroline Eliacheff note que F. Dolto avait complètement oublié avoir écrit ce texte qui lui paraîtra, en le retrouvant, d’une grande importance (tout comme j’ai eu l’occasion de le souligner dans un de mes articles sur F. Dolto[3], que cite Caroline Eliacheff).
À cette époque, cela fait déjà plus de dix ans que F. Dolto travaille avec des enfants : notamment avec Sophie Morgenstern[4] qui a joué un grand rôle dans sa formation de psychanalyste pour enfants, puis à la polyclinique Ney à la demande Jenny Aubry, et à l’hôpital Trousseau à partir de 1940, etc. En outre, elle travaillera souvent en lien avec son mari Boris, médecin et kinésithérapeute[5], considéré comme grand novateur dans son approche du travail de kinésithérapeute, et le simple titre de ce texte, renvoyant aux « sensations cœnesthésiques », porte l’empreinte de leurs échanges permanents.
En dépit de son titre surprenant, voire provoquant – penser l’éthique à partir des éprouvés corporels de l’enfant –, nous retrouvons dans ce texte ce qui fait la spécificité et le caractère irremplaçable de l’écriture comme de la pensée de F. Dolto. Toutes ses remarques sont fondées sur son expérience clinique, sur son travail avec les enfants. Elle entremêle les conclusions qu’elle en tire d’analyse d’exemples très concrets, s’inspirant autant de ce qu’elle a vécu avec ses trois enfants que de ceux dont elle s’occupe dans son travail. Elle décrit ce qu’elle voit, en tire des pistes de réflexion et de connaissance de l’enfant, sans jamais théoriser ni céder à la tentation d’une expression abstraite, d’une généralisation spéculative. Et ce n’est pas le moindre des apports dont Françoise Dolto nous a gratifiés. Elle assume une position qui prend à rebours les normes éducatives en vogue, à cette époque. Il est vrai que vouloir fonder l’éthique sur la construction de l’enfant a pu paraître scandaleux à l’époque.
Françoise Dolto établit d’emblée une distinction capitale entre la notion de bien /mal, et la notion de gentil/méchant qui, elle, génère le sentiment de culpabilité. Le sentiment de culpabilité n’est pas inné chez l’enfant, il résulte du conditionnement social et familial dans lequel il vit et du rapport de l’enfant avec la grande personne, l’adulte, celui qui fait autorité. Il s’agit d’une dette impayable à l’égard de son origine pour négocier son autorisation d’exister et surtout de se faire sa propre place dans l’existence. Un chemin qui n’est pas tracé d’avance, à l’instar des Holzwege chers à Heidegger , ces chemins qui ne mènent nulle part et dans lesquels on est amené à tracer chacun son propre sillon.
« Quand l’enfant, à l’aide des qualificatifs bien ou mal,gentil ou méchant, commence à exprimer des jugements moraux sur ses actes et sur ceux d’autrui, ces jugements sont toujours liés à une mimique, ouverte ou fermée, d’acquiescement ou de rejet, voire de révolte. Cela implique que l’enfant ait d’une part la notion d’une liberté de choix (il estime qu’il savait qu’il aurait été possible de ne pas agir) et qu’il recherche d’autre part la confirmation par un autre –un aîné ou un adulte, de préférence l’adulte parent qu’il aime parce qu’il est dépendant de lui pour son bien-être et que, de ce fait, il lui fait a priori confiance – du jugement qu’il a porté. L’adulte semble-t-il « content » ou « pas content » ? Voilà ce qui compte. Si l’adulte est content, c’est bien, l’enfant se sent gentil ; s’il ne l’est pas, c’est mal, il se sent méchant. » (p. 18-19)
Au contraire, lorsque l’enfant décrète qu’une chose est bonne ou mauvaise, il a cette possibilité de se passer de l’avis ou du jugement de l’adulte, de la grande personne.
« On peut en déduire que l’échelle de valeurs « bien-mal » ne relève pas, dans le psychisme, des mêmes règles d’élaboration que les échelles de valeurs « bon-mauvais », « agréable-désagréable » ; « beau-laid ».[…]
Le sentiment de bien ou de mal qui accompagne tout acte constitue, lui, l’amorce d’une échelle de valeurs qui s’échafaude en chacun de nous par une succession d’expériences langagières, parfois à la fois langagières et sensorielles, expérientielles ; vécues en tout cas au contact des autres, c’est-à-dire en relation avec le milieu social témoin, l’environnement. » (p. 19-20)
Le corps ne ment pas : le bon et le mauvais renvoient toujours à l’éprouvé corporel de l’enfant, au ressenti – gustatif, olfactif, sensitif et autre –, d’une chose, dans laquelle l’enfant ne se trompe pas, ne peut pas se tromper, parce qu’il peut se fier à lui-même dans ses propres « ressentis » et dans ses propres « éprouvés corporels ».
Un parallèle avec Freud s’impose ici. Lui aussi, s’est consacré durant dix ans, à ses débuts, à raison de trois jours par semaine, au travail avec des enfants dans le service du Dr Max Kassovitz à l’Institut public de Vienne pour les maladies infantiles. Cette expérience a conduit Freud à écrire les Trois essais sur la théorie sexuelle en 1905, puis un texte sur « Les théories sexuelles infantiles », en 1908, dans lesquels il montre combien le corps de l’enfant s’organise à partir de ses fantasmes : « L’enfant pense avec son corps », écrit-il, en 1908. Cette découverte freudienne est souvent passée inaperçue, mais elle va tout à fait dans le sens des observations de Françoise Dolto qui, très tôt, a repéré l’importance du ressenti et des éprouvés corporels. L’enfant pense avec son corps, certes, mais à condition qu’il ait pu l’élaborer.
F. Dolto identifie de manière très précise les conséquences qu’ont sur l’enfant ces deux échelles de valeur différentes, le bien/mal, le « gentil/méchant ». Elle étudie « les étapes de l’évolution de l’enfant par rapport au bon et au mauvais, depuis sa naissance jusqu’à la formation de ses premiers jugements conscients sur le bien et le mal » (p. 20)
La première relation avec les tout-petits repose sur la mimique et sur les gestes que l’enfant manifeste. Tout ce qui lui semble mauvais le met mal à l’aise : tension, fermeture, cri.
Au stade oral, la libido se manifeste par le cri. Le cri est bon parce qu’il soulage la tension libidinale.
« Un objet à sucer, qui convient au besoin réflexe de succion (expression générale à cet âge de la tension libidinale, et qui peut être de désir, donc indépendante du besoin), calme l’enfant. […] Nous voyons là chez l’être humain la possibilité qu’a le leurre de satisfaire un désir, sans satisfaire le besoin : parfois, quand l’enfant crie, c’est qu’il désire une présence alors qu’il n’a pas faim, qu’il n’a pas sommeil, qu’il n’a pas besoin de change. » (p. 22)
F. Dolto emploie ici le mot « désir »[6] : c’est un mot étranger à la littérature de son temps et à l’usage ultérieur qu’en fera Lacan (qui se situe dans une dialectique de la reconnaissance de soi par l’autre, d’inspiration hégélienne). F. Dolto parle du « désir » de l’enfant par rapport à son éprouvé corporel, le corps du tout-petit fait déjà l’expérience du désir de l’objet manquant à sa satisfaction, antérieurement à sa possibilité de reconnaître l’autre comme une autre personne. On est ici dans le registre du bon et du mauvais, antérieur à toute relation avec autrui et avec les règles sociales.
Elle cite l’exemple d’un bébé mourant d’inanition pour qui le besoin d’air et le désir de communiquer par le regard et l’audition avec autrui est plus fondamental que l’instinct nutritif.
« Dans des cas où il y a affamement non sur le plan nutritif, mais sur le plan de la relation psychique avec la mère, on voit des enfants entrer dans l’autisme, sans qu’ils soient privés quant à leurs besoins. » (p. 23)
Le mouvement respiratoire est une fonction passive et naturelle en soi. Et le rythme respiratoire est la première manifestation du bon, hors de l’utérus maternel, d’après ses observations cliniques. F. Dolto se penche sur le cas d’enfants de jeunes patients et qui souffrent d’asthme. Et elle en retient que ces crises peuvent être liées à un sentiment de culpabilité chez un enfant à qui l’on a interdit l’expression par le cri et chez qui « l’asthme a pris la place du cri, chaque fois qu’il a besoin d’exprimer un besoin ou un malaise végétatif en l’absence du regard d’autrui. » [7] (p. 26)
D’où la différence à faire entre « le cri sain, sthénique, non angoissé, non douloureux », qui exprime le besoin de vie, un élan vital, le désir (au sens que F. Dolto donne à ce terme), et les cris liés à une souffrance physique. Il faut respecter les cris de l’enfant, et si nous ne les comprenons pas, il ne faut surtout pas y répondre par nos cris d’adulte. F. Dolto reconnaît ici qu’elle ne sait pas ce qui se passe chez l’enfant à ce moment-là.
Inhiber le cri spontané du nourrisson constitue un traumatisme qui peut provoquer non seulement une inversion des rythmes vitaux, une « perversion », écrit F. Dolto. Elle insiste effectivement sur les signes précoces qui sont décelables et les déterminations futures d’un sujet pervers, puisque pour le pervers, il n’y a que des objets désirables, qui n’existent qu’à travers les objets partiels qu’il investit, et de ce fait, il n’y a pas de rencontre possible avec l’autre ni de désir à son égard.
Pour permettre l’évolution de l’enfant, il faut reconnaître au tout-petit une intelligence qui est au service de sa survie et de sa vie. Il est indispensable de sortir des travers de l’éducation de la part de l’adulte, et surtout des interprétations des faits et gestes de l’enfant.
Je donne ici une fois de plus la parole à F. Dolto, plutôt que de la paraphraser sommairement :
« Par malheur, l’adulte se méprend souvent sur le sens du désir de l’enfant (il croit, par exemple, que l’enfant demande son aide, et il se fait « rembarrer ») ou sur la signification à donner à des réactions caractérielles d’agression, de colère, d’opposition. Il y voit une manifestation dirigée contre lui : cet enfant est méchant, il a une mauvaise nature, un sale caractère. L’adulte adopte alors, sous couvert d’éducation, une attitude répressive, ou se comporte en moralisateur dépressif et prêchi prêcha, qui installe définitivement l’enfant dans un mode résolument agressif de réaction à l’image de l’adulte-modèle : lequel est ressenti par lui comme violent à son égard, anti-vie, et surtout sans joie. Que l’adulte, au contraire, laisse les caprices se dérouler – quand il n’a pas pu les éviter –, qu’il conserve son calme et sa compassion et le caprice s’arrêtera, même chez un enfant très violent, surtout si celui-ci se rend compte que l’adulte n’a pas eu peur, n’est pas fâché, car l’enfant a peur de cette violence qui est en lui. Il est ainsi mis en confiance ; l’adulte peut alors, avec des paroles, lui expliquer ce qui s’est passé. On cherchera avec l’enfant ce qui l’a mis en colère, et ces paroles viendront au secours de son sentiment d’impuissance p. 30-31)
Ce qu’il faut dans ces situations, c’est chercher la source, l’origine subjective de la colère sans culpabiliser ni juger l’enfant, au lieu de plaquer une théorie toute faite. F. Dolto n’est jamais avare dans ses articles d’anecdotes empruntées à ses propres enfants ou à ceux dont elle s’occupe pour illustrer plus concrètement ce qui peut faire grandir ou rabaisser un enfant quand il fait une bévue ou bêtise.
F. Dolto aborde également la question de l’autonomie de l’enfant, au stade anal, pour ses besoins excrémentiels, qui, si elle n’est pas donnée, peut créer chez l’enfant un sentiment de culpabilité.
« L’enfant, lorsqu’il se sent en sécurité, parvient à se relaxer facilement : il urine et défèque en même temps qu’il sourit et jase avec les gens qu’il aime. […]
À ce moment du stade anal peuvent naître des névroses obsessionnelles, si l’adulte, au lieu de guider l’adresse manuelle et gestuelle de l’enfant –ou son adresse à parler et chanter – impose un rythme artificiel à la défécation et à la miction. L’enfant peut alors se soumettre à ces directives par souci de conserver un commerce agréable avec l’adulte, mais les sources mêmes de son autonomie future s’en trouvent contrariées.
Je sais que ce que je dis va paraître tout à fait révolutionnaire à bien des nourrices et à bien des pédiatres. L’expérience faite maintenant avec de nombreux enfants est pourtant concluante et, sur le plan du développement sans culpabilité de l’enfant, c’est certainement une vérité. » (p. 34-35)
Le sentiment de culpabilité, là aussi, naît encore du sentiment de ne pas plaire à l’adulte, ne pas lui faire plaisir, au prix de nier son propre ressenti, son propre plaisir. L’enfant aliène alors son désir dans celui qu’il prête à l’adulte.
Françoise Dolto précise plus loin:
Les enfants soumis à un dressage précoce ne présentent ni aisance ni grâce dans leurs mouvements. Ils sont apathiques ou instables, ne font preuve d’aucune adresse acrobatique ou manuelle fine… […] Ce sont des sorte de robots dont les mères sont parfois enchantées, qu’elles manipulent du geste et de la voix, sans avoir d‘échanges avec eux, et dont le développement ultérieur reste problématique, car ils présentent un retard à la fois de développement affectif, de parole et psychomoteur. » (p. 37)
Ce qui deviendra le sentiment inconscient de culpabilité naîtra de ce discord entre ce que l’adulte attend de l’enfant et ce que l’enfant ne peut pas lui donner – ou ne voudra pas lui donner plus tard.
Dans ce cas, il n’y a pas de subjectivation possible pour l’enfant. À ce niveau, on peut dire que le sentiment de culpabilité est une dette impayable à l’égard de son créateur. Nier son propre ressenti pour ne pas perdre l’amour de ses parents, cela s’opère dès le départ, au prix de nier son propre ressenti et éprouvé corporel, en tant qu’il est un processus exigible de séparation d’avec les parents aimés, et ultérieurement d’avec les grandes personnes à l’égard desquelles on a une forme d’addiction, y compris avec son psychanalyste …
Ce texte de 1948 a indiscutablement une dimension que Françoise Dolto qualifie elle-même de révolutionnaire, à cette époque d’après-guerre où l’éducation devait suivre des préceptes et des principes figés, identiques pour tous au sein d’une même fratrie. Il me semble que Françoise Dolto est la première à énoncer une éthique qui ne se limite pas à une simple posture intellectuelle, mais qui permette au tout-petit ou l’enfant d’inaugurer sa première relation à autrui.
Et ce que nous apprend F. Dolto dans ce texte très riche ainsi que dans d’autres écrits nourris par sa longue expérience de psychanalyste d’enfant, c’est que lorsque nous psychanalystes, nous nous adressons à un patient, nous devons toujours avoir à l’esprit que ce que vit le patient, à tel ou tel moment de la cure analytique, ce peut être ce qu’il a vécu bébé, enfant, adolescent. D’ailleurs, cette importance donnée à l’éprouvé corporel et au ressenti dans la construction de l’enfant n’est pas sans faire écho à une découverte précoce de Freud (1895) quand il fait ce constat : « Une remémoration sans affect[8] est une remémoration sans effet ».
Alors, nous analystes, nous devons prendre conscience que ce n’est pas l’adulte qui est devant nous qui s’adresse à nous et à qui nous nous adressons, mais l’enfant ou l’adolescent qui revit au cours de la séance un épisode, un moment de son enfance ou de son adolescence.
Françoise Dolto n’interprète pas, elle tire des conclusions successives de ce qu’elle observe, de ce qu’elle entend, sans chercher à en faire une théorie. En toute indépendance, dans sa pratique et dans son questionnement, elle essaie de donner au geste ou à la parole, selon les âges, une liberté d’expression qu’elle accompagne et qu’elle peut entendre. Liberté qui permet à l’enfant ou à l’adulte ultérieurement d’être entendu dans son propre idiome et dans sa singularité. Parler la langue du patient afin de pouvoir accéder à lui, c’est ce qui est requis de la part de tout analyste.
Ce texte de 1948 a une grande portée anthropologique. Il illustre comment chacun pense avec son corps, est confronté au sentiment de culpabilité envers les adultes qui paralysent parfois plus qu’il n’aide l’enfant à acquérir son autonomie.
Or cette autonomie et le droit d’exister sont ce qui permettent à l’enfant d’en passer par un processus de séparation, de ne pas rester « en indivis avec un objet externe », écrivait déjà Freud dans Malaise dans la culture, en 1939.
La première rencontre avec autrui présente toujours le risque de nous aliéner dans le désir de l’autre, au prix de sa propre non-apparition comme sujet.
La tâche éthique de la psychanalyse, qui n’est pas un système de représentations, est effectivement de permettre au patient de se séparer des grands personnages ou des grands discours, afin de faire enfin sa propre place dans l’existence. Une place qui n’est assignée par personne et qui, seule, lui donne accès à sa propre parole, singulière et personnelle.
[1] Intervention au cours de la Journée organisée par Espace analytique, le 1-12-18, « Françoise Dolto, 30 ans après ».
[2]Psyché N° 18-19 : il s’agit de son intervention au cours des journées organisées à Royaumont en janvier 1948 sur le thème de « la Culpabilité » par la revue Psyché, dirigée par Maryse Choisy. Ce texte a été réédité en 1981 au Seuil, dans le recueil de textes paru sous le nom Au jeu du désir (les pages indiquées renvoient à cette édition).
[3] J. Sédat « Les origines corporelles de l’esprit », Actes du Colloque de l’Unesco, 1999, p. 542-544.
[4] F. Dolto lui consacre un article (« Ma reconnaissance à S. Morgenstern ») dans Le silence de la psychanalyse, ouvrage publié sous la direction de J.-D. Nasio, Rivages psychanalyse,1987.
L’œuvre de Sophie Morgenstern a été publiée en 3 volumes, aux éditions Tchou (Bibliothèque des introuvables, collection dirigée par J. Sédat), 2003.
[5] F. Dolto a d’ailleurs écrit la préface au livre de Boris Dolto, Le corps entre les mains, Éd. Vuibert, 2006
[6] Ce mot est souvent mis entre guillemets dans le texte publié dans la revue Psyché, en 1948, et il est mis en italique dans sa reprise dans le recueil de textes, Au jeu du désir (Seuil, 1981, p. 18-59).
[7] F. Dolto relève de manière intéressante, dans les dernières pages de son texte, que la mortalité infantile a baissé dans le service de pédiatrie du Pr Ribadeau-Dumas, à partir du moment où ce dernier a instauré une nouvelle règle : en plus du temps de soins apportés par l’équipe médicale, celle-ci devait consacrer chaque jour 5 minutes gratuites, matin et soir, pour prodiguer une présence attentive et chaleureuse aux nourrissons…
[8] Ces mots sont soulignés par Freud dans sa « Communication préliminaire » à ses Études sur l’hystérie,1895, OCPF, PUF 2009, p. 27.
Le mouvement d’articulation des entités psychanalytiques brésiliennes vient, au moyen de ce manifeste, déclarer sa grande préoccupation et lancer un signal de danger quant au destin de la démocratie dans le pays, courant grand risque d’être exterminée, comme elle le fut dans les camps de concentration au cours de la Deuxième Guerre Mondiale lors de l’Holocauste au nom d’une « race pure » issue du délire d’un leader mortifère, Adolf Hitler.
Nous connaissons la valeur des conquêtes d’une démocratie après avoir connu les geôles de la dictature.
Ainsi nous devons affirmer le droit à la parole, toujours respecté en démocratie, surtout lié à défense de la valeur du sujet, de ses recherches, de ses droits véritablement humains loin de la domination de la pulsion de mort. Nous venons réaffirmer notre souhait que le pays ne tombe fasciné par le fascisme. Nous ne pouvons pas nous taire, car nos armes viennent de la parole, alors que le fascisme impose le mutisme au moyen d’armes à feu et obéit à la pulsion de mort.
Nous sommes face au danger d’un régime que ne favorise en rien la vie, mais la mort et ses milliardaires. Nous savons que la répétition d’un régime militaire amène une loi insensée propre à la barbarie et à l’irrespect de la vie et des conquêtes de chaque brésilien.
Nous n’admettons en aucun cas que la religion puisse être le bras droit d’un régime politique. Nous soutenons la laïcité de l’état, sans aucune intervention de la religiosité de ses fonctionnaires. La religion et les religieux ne sont pas nos ennemis, mais la fonctionnarisation de la religion.
De même que nous luttons depuis vingt ans contre les tentatives de réglementation de notre profession, nous disons aujourd’hui « non » à un régime autoritaire et fasciste.
La démocratie nous permettra de corriger les erreurs liées à cette polarisation politique aveuglante et assourdissante qui menace la dignité et la vie citoyenne dans le pays. Nous clamons fort notre espoir que les brésiliens puissent garder leur conscience des conquêtes de la démocratie et osent affirmer leurs voix, en refusant le fascisme.
Je vous propose de venir discuter avec Joseph Rouzel autour de son dernier livre La folie douce, psychose et création, argument ci-dessous. Lecture où l’auteur nous déplace par des récits qui l’ont mis en route comme sujet, recréant par des histoires une possibilité d’entrer très près de l’univers de la psychose et de son inventivité. Joseph Rouzel nous invite en retour à une lecture analysante et à l’invention clinique. Au cours de cette rencontre, il nous parlera également de la naissance de l’@psychanalyse,
Agnès Benedetti
« La folie douce, qui s’oppose à la folie furieuse, c’est un moment d’égarement, de déraison, d’extravagance, de délire. Ça ne prête guère à conséquence, mais ça dérange les bonnes mœurs. Alors que la violence et le passage à l’acte sur autrui ou soi-même relèvent de l’inacceptable, il convient de penser l’accueil social de la folie comme un espace de création et d’invention. Comment accompagner, soutenir, valoriser les dits « psychotiques » afin que leurs productions, quelles qu’elles soient, trouvent leur place dans l’espace de la culture, au sens où Freud la déploie, selon des voies socialement acceptables ? Qu’elles soient considérées comme faisant signe d’un sujet et non d’un dysfonctionnement ?
À partir de récits de vies singulières, telles Jeannot et son plancher, Glenn Gould et la musique, Marcel Bascoulard le clochard céleste…, ou parfois tirés de mon expérience clinique quand les patients tentent, à leur façon et avec les moyens du bord, de vivre parmi les autres en élaborant leurs propres solutions, je poursuis ici une nécessaire élaboration théorique des liens entre psychose et création.
Cette question se pose de façon similaire pour tous les professionnels du champ social, médico-social, hospitalier, scolaire… Comment accueillir les inventions et créations des sujets qu’on leur confie, s’ils ne sont pas eux-mêmes engagés dans ces mêmes processus créatifs ? La question clinique n’est pensable que dans ses englobants institutionnels, politiques et éthiques »
Après avoir exercé de nombreuses années comme éducateur spécialisé auprès de divers publics (psychotiques, toxicomanes, cas sociaux…)et formateur de travailleurs sociaux (Toulouse, Montpellier),Joseph Rouzel est aujourd’hui psychanalyste en cabinet, formateur en libéral et cofondateur de l’association l’@psychanalyse.
Jacques Cabassut, professeur de psychopathologie clinique à Nice-Antipolis, qui a assuré la préface de l’ouvrage, animera la discussion…
Séminaire de psychanalyse à Marseille CHU de la Conception, Pôle Psychiatrie Centre, boulevard Baille : L’inconscient, l’écran et le Réel, La différence des sexes et l’écran / Psychanalyse et champ culturel, le samedi 14 avril 2018 de 10 h à 12 h 45.
Michel Leca et Muriel Mosconi : L’érotomanie et la différence des sexes, à propos du film de Michel Spinosa « Anna M. »
Participation aux frais : 16 euros la journée, 11 euros la demi-journée. Gratuit pour les inscrits au Collège de clinique psychanalytique du Sud-Est, pour les membres de l’École de Psychanalyse des Forums du Champ Lacanien et pour les membres du personnel du Pôle Psychiatrie Centre de Marseille.
LSD La Série Documentaire propose une série de documentaires intitulés « En séances, étapes d’une psychanalyse«
« Pourquoi un jour prendre la décision de consulter « quelqu’un » ?
Il ne sera question ni de thérapie comportementale, ni de développement personnel mais de psychanalyse. Au cours de quatre documentaires dont la progression suit celle d’une analyse, depuis le premier rendez-vous jusqu’aux adieux, cinq analysants et sept psychanalystes témoignent de ce en quoi consiste une analyse, de ce qui doit se passer entre ces deux individus pour que l’un écoute l’autre avec neutralité et bienveillance, et de ce qui s’invite en séance lorsque tout fonctionne bien : des larmes, de l’euphorie, de la colère, et parfois un morceau d’inconscient qui remonte à la conscience. »
Pourquoi décider de consulter « quelqu’un » ? C’est parfois moins un choc qu’une tristesse ou une angoisse anciennes et familières qui incitent à rencontrer un psychanalyste.
Comment sait-on que cela collera entre le psychanalyste et soi ? Opter pour un homme ou pour une femme ? Pour un bavard ou pour un taiseux ? Il y a autant d’analystes que de patients.
Pendant la cure, le patient découvre le transfert, qui lui permet de confondre son analyste avec son père, son amant, sa mère. C’est souvent une bonne chose. Le transfert est changeant puisque tout est mobile en analyse.