16 juin « Mobilisation des soignants : lieux et horaires de rassemblement »

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Marseille, rassemblement des libéraux : rendez-vous à 11h sous l’ombrière du Vieux Port avec les autres professionnels de santé libéraux. Puis départ direction la rue de Rome, nous rejoindrons ensuite la Préfecture avec les professionnels hospitaliers.

Voir « A quoi sert la philosophie ? »

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Emission La grande librairie, sur France 5

Quelles leçons philosophiques tirer de la crise sanitaire en cours ? Quelles valeurs pour demain ? Qu’est-ce que le courage ? Autant de thèmes que François Busnel abordera en compagnie de ses quatre invités : les philosophes André Comte-Sponville, Cynthia Fleury, Etienne Klein et Marcel Conche. Dans le cadre du concours « Si on lisait… à voix haute », la comédienne Rachida Brakni livre quelques conseils pour bien lire à voix haute. Enfin, les acteurs Guillaume de Tonquedec et Nicolas Briançon proposent leurs « Lectures confinées ». 

« Parcours Résilience & Transition »

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👋 Bienvenue !

Vous êtes ici sur le wiki du Parcours Résilience & Transition. Une petite communauté d’abeilles ouvrières s’est chargée de sélectionner pour vous des liens, articles et pratiques pour vous permettre de traverser le confinement (et à présent, le déconfinement) en interrogeant nos modèles de société sans être noyé.e dans une masse de contenus.

Vous pouvez parcourir ici l’ensemble des ressources publiques du Parcours Résilience & Transition, en CC-BY-NC-SA. Vous y retrouverez l’ensemble des contenus partagés à date dans le cadre du parcours et pouvez les consulter et les partager librement. Si vous cherchez les édtios et les rediffusions des conférences, c’est par là.

Par exemple :

Aujourd’hui, nous vous proposons d’explorer le thème suivant : ****

Angoisse, stress, excitation, espoir… Crise et émotions

De manière consciente ou inconsciente, chacun a traversé des émotions fortes depuis le début de la crise sanitaire. Selon les individus, le rapport aux émotions, et notamment l’acceptation des émotions plus dures comme la colère et la tristesse, varie. Or, nos émotions sont des moteurs très puissants, à la racine de nombreuses attitudes et comportements. On peut dire qu’elles sont trop étouffées dans une société rationnelle, ou au contraire qu’elles pèsent trop sur des décisions politiques… Quoiqu’il en soit, apprendre à les reconnaître et à les nommer permet de leur redonner une juste place, pour prendre soin de soi et de la terre.
Aujourd’hui, deux propositions d’exercice pratique : l’un à réaliser seul chez vous pour démarrer cette séance, l’autre collectif pour vivre un moment d’attention et d’écoute en groupe. Puis l’écrivain-voyageur Sylvain Tesson nous éclairera sur la peur que cette crise sanitaire peut générer en nous. Et pour faire de cette crise une occasion d’apprentissage, découvrons plus largement le rôle des émotions dans la lutte contre le changement climatique et l’éco-psychologie avec Michel-Maxime Egger.

Edgar Morin «Nous devons vivre avec l’incertitude»

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CNRS Le journal. Article du 06.04.2020, par Francis Lecompte

Le philosophe Edgar Morin. « Je ne dis pas que j’avais prévu l’épidémie actuelle, mais je dis par exemple depuis plusieurs années qu’avec la dégradation de notre biosphère, nous devons nous préparer à des catastrophes. »

Confiné dans sa maison à Montpellier, le philosophe Edgar Morin reste fidèle à sa vision globale de la société. La crise épidémique, nous dit-il, doit nous apprendre à mieux comprendre la science et à vivre avec l’incertitude. Et à retrouver une forme d’humanisme. 

La pandémie du coronavirus a remis brutalement la science au centre de la société. Celle-ci va-t-elle en sortir transformée ?
Edgar Morin : Ce qui me frappe, c’est qu’une grande partie du public considérait la science comme le répertoire des vérités absolues, des affirmations irréfutables. Et tout le monde était rassuré de voir que le président s’était entouré d’un conseil scientifique. Mais que s’est-il passé ? Très rapidement, on s’est rendu compte que ces scientifiques défendaient des points de vue très différents parfois contradictoires, que ce soit sur les mesures à prendre, les nouveaux remèdes éventuels pour répondre à l’urgence, la validité de tel ou tel médicament, la durée des essais cliniques à engager… Toutes ces controverses introduisent le doute dans l’esprit des citoyens.
 
Vous voulez dire que le public risque de perdre confiance en la science ?
E.M. : Non, s’il comprend que les sciences vivent et progressent par la controverse. Les débats autour de la chloroquine, par exemple, ont permis de poser la question de l’alternative entre urgence ou prudence. Le monde scientifique avait déjà connu de fortes controverses au moment de l’apparition du sida, dans les années 1980. Or, ce que nous ont montré les philosophes des sciences, c’est précisément que les controverses font partie inhérente de la recherche. Celle-ci en a même besoin pour progresser.

Malheureusement, très peu de scientifiques ont lu Karl Popper, qui a établi qu’une théorie scientifique n’est telle que si elle est réfutable, Gaston Bachelard, qui a posé le problème de la complexité de la connaissance, ou encore Thomas Kuhn, qui a bien montré comment l’histoire des sciences est un processus discontinu. Trop de scientifiques ignorent l’apport de ces grands épistémologues et travaillent encore dans une optique dogmatique.

La crise actuelle sera-t-elle de nature à modifier cette vision de la science ?
E.M. : Je ne peux pas le prédire, mais j’espère qu’elle va servir à révéler combien la science est une chose plus complexe qu’on veut bien le croire – qu’on se place d’ailleurs du côté de ceux qui l’envisagent comme un catalogue de dogmes, ou de ceux qui ne voient les scientifiques que comme autant de Diafoirus (charlatan dans la pièce Le Malade imaginaire de Molière, Ndlr) sans cesse en train de se contredire…

J’espère que cette crise va servir à révéler combien la science est une chose plus complexe qu’on veut le croire. C’est une réalité humaine qui, comme la démocratie, repose sur les débats d’idées.

La science est une réalité humaine qui, comme la démocratie, repose sur les débats d’idées, bien que ses modes de vérification soient plus rigoureux. Malgré cela, les grandes théories admises tendent à se dogmatiser, et les grands innovateurs ont toujours eu du mal à faire reconnaitre leurs découvertes. L’épisode que nous vivons aujourd’hui peut donc être le bon moment pour faire prendre conscience, aux citoyens comme aux chercheurs eux-mêmes, de la nécessité de comprendre que les théories scientifiques ne sont pas absolues, comme les dogmes des religions, mais biodégradables…

La catastrophe sanitaire, ou la situation inédite de confinement que nous vivons actuellement : qu’est-ce qui est, selon vous, le plus marquant ?
E.M. : Il n’y a pas lieu d’établir une hiérarchie entre ces deux situations, puisque leur enchaînement a été chronologique et débouche sur une crise qu’on peut dire de civilisation, car elle nous oblige à changer nos comportements et change nos existences, au niveau local comme au niveau planétaire. Tout cela est un ensemble complexe. Si on veut l’envisager d’un point de vue philosophique, il faut tenter de faire la connexion entre toutes ces crises et réfléchir avant tout sur l’incertitude, qui en est la principale caractéristique. 

Ce qui est très intéressant, dans la crise du coronavirus, c’est qu’on n’a encore aucune certitude sur l’origine même de ce virus, ni sur ses différentes formes, les populations auxquelles il s’attaque, ses degrés de nocivité… Mais nous traversons également une grande incertitude sur toutes les conséquences de l’épidémie dans tous les domaines, sociaux, économiques…

Nous essayons de nous entourer d’un maximum de certitudes, mais vivre, c’est naviguer dans une mer d’incertitudes, à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille…  

 Mais en quoi ces incertitudes forment-elles, selon vous, le lien entre ces toutes ces crises ?
E.M. : Parce que nous devons apprendre à les accepter et à vivre avec elles, alors que notre civilisation nous a inculqué le besoin de certitudes toujours plus nombreuses sur le futur, souvent illusoires, parfois frivoles, quand on nous a décrit avec précision ce qui va nous arriver en 2025 ! L’arrivée de ce virus doit nous rappeler que l’incertitude reste un élément inexpugnable de la condition humaine. Toutes les assurances sociales auxquelles vous pouvez souscrire ne seront jamais capables de vous garantir que vous ne tomberez pas malade ou que vous serez heureux en ménage ! Nous essayons de nous entourer d’un maximum de certitudes, mais vivre, c’est naviguer dans une mer d’incertitudes, à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille…  
 
C’est votre propre règle de vie ?
E.M. :C’est plutôt le résultat de mon expérience. J’ai assisté à tant d’événements imprévus dans ma vie – de la résistance soviétique dans les années 1930 à la chute de l’URSS, pour ne parler que de deux faits historiques improbables avant leur venue – que cela fait partie de ma façon d’être. Je ne vis pas dans l’angoisse permanente, mais je m’attends à ce que surgissent des événements plus ou moins catastrophiques. Je ne dis pas que j’avais prévu l’épidémie actuelle, mais je dis par exemple depuis plusieurs années qu’avec la dégradation de notre biosphère, nous devons nous préparer à des catastrophes. Oui, cela fait partie de ma philosophie : « Attends-toi à l’inattendu. »

En outre, je me préoccupe du sort du monde après avoir compris, en lisant Heidegger en 1960, que nous vivons dans l’ère planétaire, puis en 2000 que la globalisation est un processus pouvant provoquer autant de nuisances que de bienfaits. J’observe aussi que le déchaînement incontrôlé du développement techno-économique, animé par une soif illimitée de profit et favorisé par une politique néolibérale généralisée, est devenu nocif et provoque des crises de toutes sortes… À partir de ce moment-là, je suis intellectuellement préparé à faire face à l’inattendu, à affronter les bouleversements.

Pour s’en tenir à la France, comment jugez-vous la gestion de l’épidémie par les pouvoirs publics ?
E.M. : Je regrette que certains besoins aient été niés, comme celui du port du masque, uniquement pour… masquer le fait qu’il n’y en avait pas ! On a dit aussi : les tests ne servent à rien, uniquement pour camoufler le fait qu’on n’en avait pas non plus. Il serait humain de reconnaître que des erreurs ont été commises et qu’on va les corriger. La responsabilité passe par la reconnaissance de ses erreurs. Cela dit, j’ai observé que, dès son premier discours de crise, le président Macron n’a pas parlé que des entreprises, il a parlé des salariés et des travailleurs. C’est un premier changement ! Espérons qu’il finisse par se libérer du monde financier : il a même évoqué la possibilité de changer le modèle de développement…
 
Allons-nous alors vers un changement économique ?
E.M. Notre système fondé sur la compétitivité et la rentabilité a souvent de graves conséquences sur les conditions de travail. La pratique massive du télétravail qu’entraîne le confinement peut contribuer à changer le fonctionnement des entreprises encore trop hiérarchiques ou autoritaires. La crise actuelle peut accélérer aussi le retour à la production locale et l’abandon de toute cette industrie du jetable, en redonnant du même coup du travail aux artisans et au commerce de proximité. Dans cette période où les syndicats sont très affaiblis, ce sont toutes ces actions collectives qui peuvent peser pour améliorer les conditions de travail.
 
Sommes-nous en train de vivre un changement politique, où les rapports entre l’individu et le collectif se transforment ?
E.M. : L’intérêt individuel dominait tout, et voilà que les solidarités se réveillent. Regardez le monde hospitalier : ce secteur était dans un état de dissensions et de mécontentements profonds, mais, devant l’afflux de malades, il fait preuve d’une solidarité extraordinaire. Même confinée, la population l’a bien compris en applaudissant, le soir, tous ces gens qui se dévouent et travaillent pour elle. C’est incontestablement un moment de progrès, en tout cas au niveau national.

Malheureusement, on ne peut pas parler d’un réveil de la solidarité humaine ou planétaire. Pourtant nous étions déjà, êtres humains de tous les pays, confrontés aux mêmes problèmes face à la dégradation de l’environnement ou au cynisme économique. Alors qu’aujourd’hui, du Nigeria à Nouvelle-Zélande, nous nous retrouvons tous confinés, nous devrions prendre conscience que nos destins sont liés, que nous le voulions ou non. Ce serait le moment de rafraîchir notre humanisme, car tant que nous ne verrons pas l’humanité comme une communauté de destin, nous ne pourrons pas pousser les gouvernements à agir dans un sens novateur.

Je ne dis pas que la sagesse, c’est de rester toute sa vie dans sa chambre, mais ne serait-ce que sur notre mode de consommation ou d’alimentation, c’est peut-être le moment de se défaire de toute cette culture industrielle dont on connaît les vices,

Que peut nous apprendre le philosophe que vous êtes pour passer ces longues périodes de confinement ?
E.M. : C’est vrai que pour beaucoup d’entre nous qui vivons une grande partie de notre vie hors de chez nous, ce brusque confinement peut représenter une gêne terrible. Je pense que ça peut être l’occasion de réfléchir, de se demander ce qui, dans notre vie, relève du frivole ou de l’inutile. Je ne dis pas que la sagesse, c’est de rester toute sa vie dans sa chambre, mais ne serait-ce que sur notre mode de consommation ou d’alimentation, c’est peut-être le moment de se défaire de toute cette culture industrielle dont on connaît les vices, le moment de s’en désintoxiquer. C’est aussi l’occasion de prendre durablement conscience de ces vérités humaines que nous connaissons tous, mais qui sont refoulées dans notre subconscient : que l’amour, l’amitié, la communion, la solidarité sont ce qui font la qualité de la vie.

« Minuscule », la série naturaliste qui fait réfléchir… »

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Minuscule est une magnifique série télévisée (mi-animation, mi-prises de vue réelles) créée par Hélène Giraud et Thomas Szabo, produite par Futurikon, qui offre de fantastiques supports pour me une réflexion philo avec les enfants.

On y retrouve une galerie d’insectes burlesques qui nous renvoient à nos propres travers, espoirs, grandes qualités et petits défauts, et nous invitent à nous questionner sur la vie, nos relations aux autres, nos choix, nos engagements, notre moralité et nos rêves…

30 épisodes pour se divertir et réfléchir avec les enfants.

Philomag « Chronique sur les sociétés de contrôle »

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18 janvier 2025

Ce soir, je reviens à ce journal plein d’amertume et de rage impuissante. Ce qui m’arrive à présent, je mentirais si je prétendais que je ne l’avais pas vu venir. Au contraire, j’ai suivi de près l’évolution qui nous a, pas à pas, avec une logique effarante, amenés à ce point. Mais ce que je savais ne m’a servi à rien, car l’objet de ce savoir me semblait étranger à moi-même, à mon expérience subjective. Quelle erreur ! J’ouvre mon application Vitalis, sur mon smartphone, qui a été développée par la Sécurité sociale et la société américaine Pamantir, et je constate que mon profil est désormais marqué du sceau de l’infamie. Stick rouge. Cancer du foie. Le diagnostic ne m’a pas plus tôt été communiqué par le médecin qu’il était implémenté dans la machine infernale – afin, soi-disant, de mieux m’orienter dans ma nouvelle existence de malade. En fait, je sais très bien ce que cela signifie. Je ne pousserai pas le comique, désormais, jusqu’à demander un emprunt immobilier à ma banque. Mes cotisations d’assurance seront bientôt drastiquement relevées. Je n’ai jamais eu d’ambition politique, mais cela ne me déplaisait pas d’être éligible – au cas où la fantaisie me prendrait de briguer la mairie de mon village natal, je devrai la noyer dans un verre de bordeaux (je suis bourguignon).

Journaliste, j’avais pourtant pressenti, dans les années 2010, que le maillage se resserrait. Ces années ont vu disparaître, sans que personne ne s’en alarme, le secret de l’instruction judiciaire mais aussi le secret médical – il est très difficile de garder un secret, de quelque espèce, dans une société de contrôle. Mais les premières atteintes à la protection des données biomédicales étaient inoffensives, presque ludiques. C’était cette montre connectée enregistrant votre rythme cardiaque pendant l’effort que l’on vous avait offerte pour votre anniversaire ; cette application pour le running qui conservait l’historique de vos performances ; ce bracelet qui mesurait la qualité de votre sommeil. Des gadgets. Je savais aussi qu’un malade, quand il s’entend annoncer une maladie grave comme cela m’est arrivé aujourd’hui, se met aussitôt à taper sans arrêt, frénétiquement, “cancer du foie” sur les moteurs de recherche, en quête de témoignages de patients ou même d’un remède miracle, et que ce comportement en ligne est parfaitement tracé. Et puis, qui n’a pas commencé dans ces années-là à recevoir des analyses médicales par e-mail ?

Mais le pas décisif a été franchi lors de l’épidémie du Covid-19. Le gouvernement nous a proposé de télécharger une application qui, soi-disant, préservait l’anonymat de nos données. En fait, ils jouaient sur les mots, car la plupart des gens dans le grand public confondent l’anonymat et le pseudonymat. S’il n’existait pas de base de données nominative des malades – du moins à l’origine –, on s’est mis, sous couvert de mesure prophylactique, à tracer les déplacements de chacun, à retrouver qui a contaminé qui grâce aux pseudos, à obliger les testés positifs à utiliser l’application et à garder toujours sur eux leur smartphone avec le Bluetooth actif.  

Quand l’épidémie a été à peu près jugulée, des voix se sont fait entendre pour prolonger cette belle expérience de monitoring social à des fins sanitaires ; il s’agissait de nudges, d’“incitations positives”, qu’ils disaient. La grippe ordinaire ne fait-elle pas plusieurs milliers de morts en France chaque année ? Et les vagues de gastro en hiver, pourquoi ne pas les enrayer grâce à la “tech” ? La Silicon Valley s’engageait contre Escherichia coli ! Les maladies sexuellement transmissibles ont bientôt été dans le collimateur, et c’est ainsi que fin 2023, si ma mémoire est bonne, Vitalis nous a été proposée comme une application révolutionnaire (mais obligatoire), remplaçant la carte vitale et permettant d’adopter un comportement adapté de non-nuisance à autrui quand on est valétudinaire. Je crois que les seuls à se réjouir de la nouvelle furent les joggeurs, ces insupportables ministres du culte de la santé à qui j’ai envie de faire des croche-pattes chaque fois que j’en croise un !

Bon, mais le cap décisif a été franchi il y a deux mois. Désormais, en cas de pathologie grave, ce n’est plus le patient qui choisit – ou non – de documenter son profil, mais le médecin-soignant qui a obligation de le faire. Le principe affiché est la bienveillance sanitaire – dans la réalité, cette politique a creusé un fossé infranchissable entre les bien portants et les malades. Et je viens de sombrer dans l’inframonde.

Curieusement, ce qui m’inquiète ce soir plus encore que la maladie, c’est la noirceur de mon avenir social. Une déclaration d’Edward Snowden, en pleine crise du Covid-19, me revient en mémoire, éblouissante de lucidité : “Peu importe comment le traçage social est utilisé contre l’épidémie, ce qui se construit aujourd’hui est l’architecture de l’oppression.” Comme j’enrage d’avoir pris cette phrase à la légère !
Un patient qui aurait aimé rester anonyme.

par Alexandre Lacroix

Clinique orthophonique « Ecrire est une scène »

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Ecrire est une scène. Une scène demande une mise en scène.

Dès notre arrivée au monde, nous faisons l’objet d’une inscription : notre nom, notre prénom, parfois deux ou trois, notre date, notre heure et notre lieu de naissance, notre position dans la fratrie. Toutes ces informations se retrouvent sur le livret de famille. En général, c’est le père qui vient faire la déclaration et l’employé de mairie numérote l’acte qui va en être issu. Un autre écrit vient marquer la fin de notre vie, l’acte de décès. Ces deux actes matérialisent sur des registres nationaux, les limites      d’une existence plus ou moins longues.

D’autres traces marquent les moments importants de notre destinée, que ce soit d’ordre religieux (baptême, Bar Mitzvah), civil (pacs, mariage), juridique (divorce, achats de biens) ou professionnel (diplôme) etc…

Les documents administratifs qui font l’objet souvent de phobies ou simplement de rejets, font partie d’une société civilisée qui ne peut en faire l’économie. L’écrit est nécessaire, il entérine les actions et jugements. Donc sans écrits, rien d’officiel ! 

Mais écrire de sa propre plume, c’est bien autre chose. Une autre scène ! Cela suppose que l’on accepte d’exhiber quelque chose de soi, de sa pensée intime pour atteindre, voire séduire l’autre, que l’on possède sans doute quelques qualités narcissiques qui nous permettent d’outrepasser les inhibitions qui nous habitent et que l’intrusion dans notre propre esprit pensant ne nous angoisse pas trop. Que l’on écrive des essais, des romans, des scenarios de films, des articles, on ne peut éviter ce besoin d’intéresser le lecteur. Que ce soit en provoquant par ses idées ou par un langage particulièrement choisi ou bien en touchant par l’émotion exprimée par écrit, le but est de créer un lien avec celui qui prend la peine de nous lire. Même le journal intime, qui au prime abord, ne s’adresse qu’à soi, a pour finalité, à mon sens, de laisser une empreinte que l’auteur sera fier et ému de retrouver plus tard. Emotion qui traversera le temps.  

Dans une histoire ou un simple récit, les mots se suivent avec la volonté de mettre du sens, de faire quelque chose de bien construit, de choisir son style mais dans l’intervalle qui séparent les mots, se glisse l’essentiel, parfois plus que ça : l’inconscient de notre espace psychique ou le conscient dont le secret est comme codé. La démarche de celui qui lit est aussi variable selon sa disponibilité au moment où il s’installe. De toute façon, il se passe toujours quelque chose qui nous échappe quand nous lisons. Notre intellect comprend un récit ou ne comprend pas, s’y intéresse, critique, a une opinion favorable ou défavorable. Malgré toute l’implication qu’on y met, il est impossible de nier le fait qu’à un niveau inconscient, une trace va se produire. La mémoire fera ensuite le tri et il ne restera seulement que l’impact émotionnel, voire corporel qu’un roman ou un essai a laissé dans notre subconscient. 

Je me souviens personnellement de livres que j’ai lus autrefois qui m’ont bouleversée mais aujourd’hui, je serais incapable de raconter la trame de ces livres. Je sais que ces sentiments n’étaient pas seulement liés à l’auteur, le style ou l’histoire mais aussi au moment précis où je les ai lus, le contexte dans lequel j’étais. Par exemple, à 17 ans, je me suis passionnée pour les poésies d’Arthur Rimbaud parce que j’étais tout simplement amoureuse d’un garçon qui avait tout d’un poète et qui aimait Arthur Rimbaud. Chaque fois que je tombe sur un de ses poèmes, je repense à ce sentiment amoureux et je suis transportée à mes 17 jeunes années.

A propos de l’adolescence, les attitudes face à l’écrit sont multiples. A notre époque, avec les outils dont les adolescents disposent (sms, réseaux sociaux), la poésie et le journal intime sont plus rares mais peuvent encore exister. On entendra davantage parler de Slam qui est une forme de poésie moderne et de Rap qui associe une musique scandée et des paroles rythmées. Il y a toujours eu des chanteurs qui attachent beaucoup d’importance au message qu’ils veulent faire passer. La page est un miroir. D’un côté la pensée, de l’autre le récit, quelle que soit sa forme. Des mots de toute façon. Ils sont libérateurs et salvateurs, symbolisent nos représentations intérieures, positives ou négatives, permettent à ceux qui ne peuvent pas écrire, quelle que soit la raison, de s’identifier à un groupe et à une pensée commune. 

Un autre procédé contemporain s’est installé depuis plusieurs années. On a appelé successivement l’expression de rue : Graffiti, Tags et enfin Street Art. Le but est « d’être vu et lu » de loin par le plus grand nombre. S’exhiber impudiquement mais anonymement, voilà l’art et la force de cette forme d’expression. Naissance et mort d’un mot ou d’un dessin dans le même temps, au détour d’un chemin, de la fenêtre d’une voiture ou d’un train, avec un effet sidérant sur la pensée plus ou moins inconscient comme des images subliminales. 

Pour en revenir à notre travail d’orthophoniste, dans les rééducations du langage écrit, toute la difficulté repose sur le rapport patient/thérapeute du langage. A nous de chercher et de comprendre ce qui fait rempart entre lui et nous, mais aussi entre le « pensé » et le « dit », entre « ce qu’il veut écrire » et « ce qu’il peut écrire ». Sans cesse, nous devons articuler le dedans et le dehors. Aider le patient à s’exprimer par écrit même si ce n’est pas facile à cause de son orthographe ou à cause de ses pensées qui sont floues. Le bouclier protège le patient également face au désir de celui ou celle qui prétend les aider. On ne peut pas désirer pour l’autre. Les parents en savent quelque chose.

Pratiquant la T.A (Technique des Associations) depuis longtemps, j’aimerais revenir sur cette pratique intéressante à plusieurs niveaux. Pour cette scène, on y revient, il nous faut peu de choses : une table, des feuilles, de quoi écrire. La position est le face à face. Un mot est donné, écrit par l’enfant (imaginons un enfant en cours préparatoire) à côté d’un trait de départ posé par l’orthophoniste. Puis les mots coulent comme des notes sur une partition. 

Exemple tout simple : 

-papa
-maman
-papa et maman
-Léo
-Léo et papa
-Léo et maman

En quelques lignes, l’histoire familiale est racontée. Le père, la mère, le couple, la scène primitive, l’enfant né de cette union, le triangle oedipien. 

Dans la série, la mise en page est importante : les blancs, les marges, les traits, les respirations graphiques, l’entente ortho/enfant, pour qu’il y ait du plaisir à faire ce « travail ». Malheureusement, beaucoup d’enfants n’arrivent pas à trouver de satisfaction dans l’acte d’écrire. Le bonheur des premiers instants de l’apprentissage de l’écrit est loin. L’élève a tué l’enfant. Ecrire est devenu souffrance, fatigue, contrainte. Le refus total ou la résistance signifie « je sauve ma peau ». Notre travail est de bien réfléchir au bon moment de proposer la série (T.A) ou tout autre approche.

Il arrive parfois que des patients ne soient pas prêts à aborder la Technique des Associations. J’ai eu le cas d’une adulte venue consulter pour dysorthographie, il y a quelques années. J’avais pensé, bien à tort, que l’indication d’une rééducation avec la T.A était l’évidence même. Mais son refus m’a longtemps fait réfléchir sur la question du désir. La rencontre des personnes est possible mais la rencontre des désirs ne l’est pas toujours. Il faut respecter la demande et savoir attendre. 

Madame S., elle, voulait faire des dictées, réviser les conjugaisons, faire du scolaire. Je me suis lancée dans ce type de travail avec l’idée de respecter entièrement cette demande, en ne sachant pas très bien où ça allait nous mener. D’autant plus qu’au départ, je savais peu de choses de son histoire, seulement qu’elle n’avait pas pu aller beaucoup à l’école à cause de déménagements fréquents et de problèmes de santé incessants. Elle avait en plus une terrible angoisse, celle de devenir amnésique. Alors, elle s’évertuait à apprendre par coeur des règles de grammaire, des conjugaisons de verbes irréguliers, des listes de mots de vocabulaire, tout en disant « ça ne se fixe pas ». 

Un jour, elle a raconté un rêve : « je conduisais ma voiture mais je ne savais plus s’il fallait rouler à gauche ou à droite. Dans la réalité, elle avait peur d’oublier la signification des panneaux ou le sens de la conduite, d’aller là où elle n’était jamais allée. Je me disais : « de quelle conduite s’agit-il ? Que sous-tend cette angoisse ?  » Elle dira par la suite la peur de perdre la vie à propos d’une anesthésie et d’une opération de la glande thyroïde. Elle ne supportait pas l’idée qu’elle puisse perdre sa voix. 

Après avoir passé des semaines et des semaines à faire des dictées, elle est arrivée un jour avec une demande encore plus précise : « je voudrais travailler le subjonctif…c’est pour mon travail…j’ai des lettres à faire… » Et nous sommes parties sur cette difficulté toute particulière de la langue française. Or, ce mode qu’est le subjonctif, n’exprime pas n’importe quoi, bien au contraire. Il exprime le désir (je voudrais que…je souhaiterais que…), la décision (je fais en sorte que…), l’interdiction (je refuse que…), l’ordre (il faut que …), le doute (je doute que…) etc…Des sentiments très forts. C’est véritablement le sujet qui parle. Dans subjonctif, j’entends sujet, sujet désirant, vivant.

Pour lutter contre ses angoisses de mort, Madame S. mettait sur papier, sa volonté, son combat intérieur, l’affirmation de soi. Après coup, il m’a semblé que tout ce parcours était nécessaire, qu’elle avait besoin d’en passer par « une autre scolarité » avant de pouvoir aller vers autre chose de plus libre. Les années passées ne lui avaient pas permis de faire son chemin sur les bancs de l’école, alors elle avait décidé de le faire devant moi, dans mon cabinet.

Un jour, il a été possible de changer de cap. Au fil des séances, elle s’est mise à parler d’elle probablement grâce à la confiance qu’elle me faisait. A l’écrit, on a pu commencer à faire appel à son imagination. L’évocation à partir d’un thème, par exemple, a été possible. On lançait un mot et on cherchait des mots qui y faisaient penser. L’inhibition s’est levée progressivement et elle a pu écrire des textes touchants. Le discours parallèle est devenu plus explicite. 

Un jour, j’ai proposé l’exercice suivant : poursuivre la phrase « si j’étais… » et elle a proposé une idée à mon grand étonnement, car elle refusait toujours de parler la première. -« si j’étais commerçante… » et elle a pu exprimer son regret de n’avoir pas pu réaliser son rêve sur le plan professionnel. 

Une autre fois, j’ai écrit « si j’étais un foetus dans le ventre de ma mère… » Elle a dit : « Ah non, je ne peux pas imaginer ça, c’est impossible…je veux en sortir tout de suite… » et à ce moment-là, elle a exprimé oralement toute l’agressivité qu’elle ressentait vis à vis de sa mère. 

J’ai beaucoup aimé travailler avec elle. J’avais l’impression de m’adresser à l’enfant qui était en elle et, le temps passant, de la voir grandir, devenir adulte. Dans le transfert, j’ai été pour elle, successivement ou simultanément, la bonne maîtresse d’école, la mère attentive qu’elle n’avait jamais eue, le père représentant de la loi, des règles à suivre, la psychothérapeute dans ses périodes dépressives assez fréquentes. Quant au lieu de cette rencontre, de cette mise en scène dont les épisodes se déroulaient chaque jeudi soir, elle arrivait volontairement en avance pour lire dans la salle d’attente, me disant que c’était du temps pour elle. De mon côté, je me sentais « la mère porteuse » aidant à renaître. J’ai beaucoup appris sur mon métier d’orthophoniste avec cette patiente. Aujourd’hui, des années après, elle m’écrit à chaque nouvel an pour me donner de ses nouvelles et me souhaiter une bonne année. 

Nous vivons avec nos patients des scènes, des mises en scène toutes plus uniques les unes que les autres. Nous changeons de rôles, de textes, mais nous ne trichons pas. Nous aussi, nous évoluons, nous devenons adultes, nous apprenons de nos patients. Si nous ne nous imposons pas comme sujet qui sait tout et qui soigne tout, alors la rencontre peut se faire et le symptôme va se modifier petit à petit et se vivre autrement par celui qui le porte et celui qui en est témoin. 

Devenir orthophoniste adulte, ça prend du temps, ça ne s’invente pas.   

Dominique Dhaine, orthophoniste, psychothérapeute, psychogénéalogiste